Dans cette vie, tout va très vite.
Trop vite. On est partout, sur tous les fronts, on court après le temps, moi la première. Je freine sévèrement toutefois, du moins j’essaye. Et souvent ce sont mes enfants qui me rappelent ce qu’on a fait du temps.
Leur temps à eux, celui du monde des enfants, est tellement loin de celui du monde des adultes. De nos yeux âgés, tout ce qu’ils font peut nous sembler long. Leurs déplacements, leur temps de réaction entre une consigne et son application. Le temps qu’ils prennent pour manger, pour s’habiller, pour se coucher.
Et cette course quotidienne des matins pressés. « On va être en retard à l’école ». « Dépêche-toi ». « Allez, avance ! ».
Ce qu’on a fait du temps…une variable compressée à l’infini. A l’heure de la fibre et des livraisons le lendemain avant 13h, on vit en instatané. Je veux, j’ai. Je clique, ça arrive de suite. On a perdu l’habitude de la patience, on a perdu le fil du temps apaisé. On court, on court…et on presse nos enfants de la même manière qu’on presse nos vies.
Combien de fois avons-nous pu dire à nos petits qu’ils n’allaient pas assez vite, qu’ils devaient se dépêcher. Mais si le problème, c’était nous ? Si le problème des matins pressés « parce que tu as mis trop de temps à t’habiller » ce n’était pas plutôt « parce que je ne t’ai pas laissé assez de temps pour le faire » ? Et si le problème, c’était notre façon d’organiser le temps, et notre manque de connexion avec nos enfants ?
Quand on a deux ans et demi, mettre un pantalon c’est long. Mettre des chaussures c’est long. Quand on a 5 ans, ranger des jouets c’est long, faire sa toilette seul, c’est long. Quand on a 7 ans, on ne peut pas marcher aussi vite que papa ou maman qui trace devant parce qu’on est en retard. Et si on y arrive, c’est comme faire un footing. On a chaud, on transpire, on a mal aux jambes.
Je le sais. Et il y a pourtant tellement de fois où j’ai envie de dire « dépêche toi » à mes enfants. Je l’ai beaucoup trop dit il y a quelques temps, d’ailleurs. Maintenant j’aborde les choses autrement. Quand je me rends compte que je presse mes enfants, je me parle à moi-même, en me demandant ce que je n’ai pas anticipé pour être obligée de les bousculer. Si j’avais un rendez-vous, c’était à moi de faire en sorte qu’ils aient le temps de se préparer. Et si je n’ai pas trouvé le moyen de leur laisser ce temps, alors c’est à moi d’assumer mon retard. Pas à eux de porter la conséquence du stress que cela génère chez moi.
Quand on a 2 ans et demi, « dépêche-toi » ça ne veut rien dire. Quand on a 5 ans, être obligée de courir le matin pour aller à l’école ce n’est pas agréable. Nous, les parents, avons les clés du temps et nous seuls pouvons lui accorder la durée qu’il mérite en fonction des situations. Nous avons le choix de ne pas presser nos enfants inutilement. Nous avons le choix de les laisser devenir autonomes en les laissant s’habiller à leur rythme, quitte à leur donner leurs habits 45 minutes avant l’heure limite où le manteau doit être mis.
Nous avons aussi le choix de leur laisser le temps de respecter les consignes. Marin m’a récemment rappelée à l’ordre à ce sujet, un jour où nous étions aller jouer au parc en fin d’après-midi. Sur une table, il y avait le goûter d’un groupe d’enfants. Il a attrapé une petite gourde colorée pour la regarder, l’a débouchée et me l’a montrée. Je lui ai demandé de la reposer. Au lieu de la reposer, il s’est mis à tripoter le bouchon, à regarder le goulot, puis il a retripoté le bouchon. Sur un ton un peu impatient, j’ai réitéré ma demande. Il m’a regardé pour me dire « mais maman je veux refermer ! ». Je m’en suis voulu ce jour là. Si j’avais pris le temps de l’observer, de regarder ce qu’il faisait après avoir donné ma consigne, j’aurais pu voir où il allait. Il avait débouché la gourde, et voulait la reposer dans l’état où il l’avait trouvée. Il prenait juste le temps d’analyser ce qu’il devait faire pour y arriver. En m’adressant à lui sur ce ton impatienté, j’ai exigé une rapidité d’action qui m’a empêchée de rester connectée à mon fils. Je lui ai également reproché, en quelque sorte, de faire ce que je lui apprends pourtant : remettre les choses à leur place, et comme elles étaient.
Alors bien sûr, en tant que parents nous sommes aussi confrontés à des impératifs dont l’éxécution est parfois difficilement compatible avec le temps dont peuvent avoir besoin nos enfants. Quand il s’agit de sécurité, on a besoin que les consignes soient appliquées maintenant, immédiatement. Quand il s’agit de respecter un horaire, même avec toute la bonne volonté du monde, on ne peut pas toujours laisser à nos petits leur temps absolu d’enfant qui ne connaît pas le retard. Parfois on est obligés d’aller vite. Mais alors je crois qu’il faut éviter à tout prix de transférer notre stress. Au lieu de dire « Dépêche-toi », on pourrait dire « on joue à la course ? ». Au lieu de dire « Allez, avance ! », on pourrait dire « j’ai besoin qu’on aille vite ce matin, tu montes sur mon dos et on y va au trot ? ».
Nos enfants vivent le temps avec leurs capacités. Avec leur motricité hésitante, avec leurs petites jambes qui n’ont pas de bottes de 7 lieux, avec leur besoin de faire les choses jusqu’au bout car ils cherchent à s’accomplir, et à constater leur propres progrès pour pouvoir dire « je l’ai fait tout seul ».
Quand on presse nos enfants, on les empêche de grandir. On leur apprend à être des sortes de machines et on leur imprime déjà, si jeunes, que le temps est un facteur de stress et de difficultés. On les empêche de grandir car on les prive de leur autonomie : parce qu’on est pressés, on fait à leur place, on ne les laisse pas finir ce qu’ils ont démarré, on ne les laisse pas réfléchir à ce qu’ils pourraient faire pour progresser. On leur donne toutes les clés alors qu’ils auraient besoin de chercher, de tester, de tâtonner, de s’imprégner de leurs expériences.
J’essaye de faire très attention à tout ça depuis un petit moment maintenant. Bien sûr ce n’est pas forcément facile. Mais cela me paraît tellement important. Pour ne plus jamais dire « dépêche toi » quand ce n’est pas absolument nécessaire…Car à bien y réfléchir, sur tous les moments où l’on a pu presser nos enfants, lesquels relevaient vraiment de l’urgence telle qu’on ne pouvait pas faire autrement ?
Très belle semaine à tous !
Image de couverture : pixabay
Merci pour ce rappel.
J’essaie de changer mon rapport au temps qui est une vraie source de stress pour moi. C’est un impératif que je m’impose sans réelle raison et je dois travailler très fort pour lâcher prise et ne pas l’imposer à mes enfants.
Il faut dire que la société ne nous aide pas vraiment à changer notre rapport au temps. Et même, je crois qu’elle entretient volontairement ce rapport extrêmement stressant. Ca pousse à la consommation de tout un tas de choses…
Très intéressant tout cela. Ce sont des choses que je sais mais parfois je l’oublie!
La course ça marche pas mal chez nous 🙂 bon par contre il faut toujours qu’il gagne sinon c’est crise assurée… rien n’est simple à nos yeux mais pour les leurs non plus c’est certain!
C’est la grande difficulté en étant parents je trouve : savoir ce qu’il y a dans nos yeux, et tenter de comprendre ce qu’il y a dans les leurs au même moment. L’écart est parfois tellement abyssal !
Je me fais souvent la réflexion… J’ai souvent l’impression de presser ma fille pour que tout rentre dans le « planning » mais c’est mon agenda, pas le sien…^^
Très juste ^^
Bravo pour ce billet !
Je n’ai plus l’âge des jeunes enfants et pas encore grand mère, mais je ne verrai plus les mamans et enfants aperçus sur le chemin de l’école.
Cest une très belle réflexion très juste et très aboutie.
Merci !
Merci Hélène 🙂
Tu as tout à fait raison.
Mais bien sur en pratique c’est plus compliqué.Moi j’ai un deux ans et demi en pleine phase d’opposition avec qui il faut tout négocier, ainsi monter les escaliers prend parfois un quart d’heure, parce qu’il aura refusé dix fois , sera redescendu trois fois… et un deux mois qui forcément ne peut pas patienter, quand il a faim, il a faim. C’est du coup assez difficile d’équilibrer les choses. autant parfois ça glisse impeccablement, et parfois tout coince.
J’ai l’impression de passer mon temps à invectiver mon fils « dépêche toi », « allez », « attends », « pas maintenant », »maintenant » … de quoi devenir fou! Je vais essayer d’être plus vigilante car c’est souvent dans les moments un peu tendu, où justement moi je stress parce qu’on a un impératif, que les crises éclatent.
C’est sûr que ça peut être vraiment compliqué. J’ai connu les situations que tu décris bien sûr, quand Marin est né et qu’il fallait aussi être disponible pour Lou. Vraiment pas simple. Je crois que le tout c’est d’en être conscient, car c’est déjà se demander comment faire autrement et reconnaître qu’on doit tendre vers autre chose. Tu es sur la bonne voie !