L’enfant est une personne à part entière
De nos jours, cela peut sembler acquis pour la majeure partie d’entre nous or, combien sommes nous dans cette même majeure partie convaincue, à :
- Ne pas laisser notre enfant décider ce qui est bon pour lui
- Ne pas laisser notre enfant participer aux règles qui le concernent (et ce quelque soit son âge)
- Ne pas laisser notre enfant faire ce qu’il a envie de faire parce que nous pensons qu’il n’en est pas capable / qu’il n’est pas capable de mesurer les enjeux / qu’il n’est pas en mesure d’évaluer les risques
- Liste non exhaustive…
Autrement dit, combien de fois nous adultes pourtant convaincus que notre enfant est une personne, dépossédons-nous cette même personne de ce qui lui permet d’exister pour elle-même ? Combien de fois faisons-nous de nos enfants des humains programmés pour faire ce que d’autres humains ont décidé pour eux comme étant correct, acceptable, sécuritaire…etc. Il s’agit là d’une des manifestations, sournoise car totalement banalisée par sa répétition génération après génération, de ce qu’Yves Bonnardel appelle la domination adulte et personnellement, j’en suis parfois, de ces adultes dominants. Comme nous tous…
J’essaye toutefois de l’être le moins possible et avec le plus de conscience possible en fonction de mon histoire, de mes expériences, de mes croyances et de mes problématiques de parent, mais je suis loin encore d’en avoir fini avec cette question ! Je remarque que notre capacité à laisser nos enfants libres de décider pour eux-même, comme n’importe quelle personne que nous traiterions avec respect, relève d’abord d’un travail de développement personnel.
Nous avons beau être convaincus qu’il est absolument nécessaire que l’enfant ait cette liberté (c’est mon cas), c’est notamment sur nos croyances qu’il faut travailler pour ensuite permettre cette liberté. Passer de la conviction à l’action en quelque sorte. Et c’est une autre paire de manches…je vous donnerai quelques pistes pour ça dans un instant mais avant, voyons un peu plus loin.
Avec cette « domination adulte » prennent racine une foule d’acquis inconscients, que nous avons nous-même expérimentés étant enfants. Une fois devenus adultes, nous considérons à cause d’eux que l’enfant n’est pas en mesure de décider pour lui même et que durant ses 15 premières années environ, une autre personne sera pour lui juge et partie.
Rien d’étonnant à tout cela : hormis pour quelques un-e-s d’entre nous qui ont été élevés en dehors du cadre traditionnel avec des parents déjà conscients de cette problématique, nous avons tous et toutes grandi sous la domination adulte, comme nos parents avant nous (et c’était même encore pire pour eux).
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La question de l’âge minimum
Faisons un petit jeu. Prenez une feuille et notez les réponses aux questions suivantes :
- A partir de quel âge considérez-vous qu’un enfant est apte à aller seul à l’école ?
- A partir de quel âge considérez-vous qu’un enfant est apte à faire 10 kilomètres seul en vélo ?
- A partir de quel âge considérez-vous qu’un enfant est apte à aller sur le grand tobboggan sans aide et à descendre la tête première ?
- A partir de quel âge considérez-vous qu’un enfant est apte à passer plusieurs jours en sortie scolaire ?
Bien sûr, toutes les réponses différeront d’une personne à l’autre, d’un parent à l’autre, en fonction de votre contexte. Ce qui m’intéresse c’est notre capacité à déterminer un âge avant lequel il n’est pas envisageable de faire telle ou telle chose : pour chacune de vos réponses, précisez. Qu’est-ce qui, dans votre expérience, vous permet d’apporter cette réponse ? Est-ce une situation vécue ? Une information entendue à maintes reprises dans votre famille ? Autre chose ?
La question n°3 n’est pas anodine et vient de ma propre expérience de mère : avant d’avoir des enfants, j’aurais pu répondre « 2 ans, 2 ans et demi ». A l’époque mon expérience m’avait appris que c’était l’âge où les enfants commençaient à évoluer à peu près seuls dans les aires de jeux.
La vie me fera finalement répondre « 12 mois ». Et me fera aussi essuyer les regards affolés de tous les parents qui, au parc, regardaient mon petit bout de bébé d’à peine un an (et qui marchait depuis l’âge de 9 mois et demi, ceci expliquant aussi cela) monter seule le toboggan des « grands », descendre la tête la première en rigolant, et recommencer inlassablement…Visiblement, cette scène heurtait chez eux une croyance largement répandue qu’un enfant de 12 mois ne pouvait pas faire ça ^^
Si j’avais écouté mes croyances, celles qui m’impriment mes peurs et mes limites, j’aurais pu l’empêcher de monter à chaque fois qu’elle essayait, trop inquiète d’une chute ou d’un quelconque danger. J’aurais pu entraver ses mouvements pour absolument la tenir, ou l’orienter vers d’autres jeux que mes croyances auraient identifiés comme « de son âge », « sûrs pour elle ». Elle serait passée à côté de sa propre expérience de développement et de motricité du fait de mes croyances personnelles, que j’aurais calquées arbitrairement sur sa vie à elle.
Et par conséquent, j’aurais pu installer chez elle les prémices d’une croyance limitante : « je voulais faire ça, mais maman a réagi de cette façon. C’est que je ne suis pas capable de faire seule ». En répétant et répétant encore une telle situation, où l’adulte décide pour l’enfant s’il doit être aidé, s’il peut faire seul ou non, nous faisons deux choses :
- Transférer nos croyances sur l’enfant
- Lui créer de nouvelles croyances qui risquent d’amoindrir sa confiance en lui
[infobox maintitle= »Séquence empathie » subtitle= »Imaginez un instant votre semaine si l’intégralité des décisions que vous deviez prendre ou des actions que vous souhaitez entreprendre était soumise à l’approbation d’une tierce personne, cette personne étant en plus mandatée pour déterminer si non seulement vous avez le droit, mais si en plus vous êtes capables. Que ressentez-vous ? Ce ressenti est très probablement aussi le ressenti de votre enfant lorsqu’il se retrouve dépossédé des décisions qui lui reviennent, même s’il est (très) jeune. » bg= »gray » color= »black » opacity= »off » space= »30″ link= »no link »]
Ce qu’il est important de comprendre, c’est que nous déterminons le plus souvent la capacité ou l’incapacité d’un enfant non pas par rapport à ses réelles capacités, mais par rapport à nos croyances. Mais objectivement, qui mieux que l’enfant lui-même, et quelque soit son âge, est en mesure d’évaluer si oui ou non il est capable ? Ou, s’il ne l’est pas encore tout à fait, peut-être a-t-il la possibilité de mobiliser suffisamment d’énergie et de motivation pour se dépasser et réussir, même s’il a 18 mois. Nous avons un rôle clé dans ce processus : nous pouvons l’empêcher ou le permettre.
Les limites du contexte
Parfois, certaines situations imposent que l’adulte prenne des décisions rapides, urgentes, quand il s’agit par exemple de la sécurité ou de la santé, et ce contre la volonté de l’enfant. Cela fait partie des grandes problématiques du rôle de parent : évaluer quand il est nécessaire d’imposer une décision.
En ayant conscience, dans ma démarche avec mes enfants, de tout ce que j’ai développé plus haut, je constate que ces situations sont finalement assez rares et que de fait, nombre des règles de la maison sont négociables selon que mon enfant se sent ou non capable de réaliser telle ou telle chose, de respecter un certain engagement etc.
Une histoire de confiance
C’est bien de confiance qu’il s’agit ici. Si l’enfant est une personne à part entière, alors il ressent, pense, évalue, juge, anticipe, et apprend comme nous tous par essais-erreurs. Si par nos actions, nous décidons qu’il ne peut effectuer une certaine tâche tant qu’il n’a pas la totale capacité d’obtenir le résultat final, nous lui ôtons la partie la plus importante de son développement : l’essai-erreur, où il construit toutes les « petites » capacités intermédiaires qui le mèneront à réussir l’objectif plus grand qu’il vise. J’ai partagé il y a quelques temps une citation de Laurent Gounelle à ce sujet que je trouve très parlante.
Vous vous souvenez qu’hier nous avons parlé du bébé qui apprend à marcher et ne se décourage jamais, malgré ses échecs à répétitions ?
– Oui
– S’il persévère et finit par réussir, c’est notamment parce qu’aucun parent au monde ne doute de la capacité de son enfant à marcher, et aucune personne au monde ne va le décourager dans ses tentatives. Alors qu’une fois adulte, nombreux seront les gens qui vont le dissuader de réaliser ses rêves
Si nous avons la capacité de faire confiance à notre enfant lorsqu’il apprend à marcher, c’est parce que nous croyons qu’il n’y a aucune raison que ce soit autrement. Si par la suite nous empêchons notre enfant de décider pour lui-même ou de faire des choses particulières, c’est aussi parce que nous croyons que nous ne pouvons plus lui faire confiance et que cela doit être ainsi.
Finalement, notre capacité à laisser nos enfants décider, au sein de la maison, dans le cadre des relations qu’ils ont avec les enfants ou les adultes, dans le cadre de leurs activités, etc, revient à évaluer à quel point nous sommes disposés à leur faire confiance. Mais dire à un enfant de 3 ans « tu es libre de décider ce qui est bon pour toi », c’est encore aller à l’encontre de tout ce qui a fait l’éducation jusqu’à aujourd’hui…et il faut être parfois bien outillé pour expliquer nos choix !
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Nos enfants ne doivent pas porter le poids de nos croyances
La vie se chargera bien assez vite de leur forger les leurs. Dans la mesure du possible, essayons de faire le point sur le pourquoi de nos interdits, de nos règles, de nos décisions lorsqu’elles interviennent à la place de l’enfant lui-même. Voici quelques exemples de questions que nous pouvons nous poser lorsqu’il s’agit d’instaurer une règle, de demander à l’enfant d’obéïr immédiatement…bref, lorsque nous sommes en train de déposséder notre enfant de son droit à être une personne à part entière et donc, de son droit de faire autrement que ce nous souhaitons :
- Pourquoi ai-je besoin de dire non ? Qu’est-ce que la situation éveille en moi (émotions, sentiments…)?
- Quelle est la croyance en jeu ici ? D’où me vient-elle ?
- Si j’appliquais le souhait de mon enfant dans ce cas, que lui laisserais-je le droit de faire ?
- Ma réaction face à son souhait est-elle justifiée et justifiable par des faits objectifs et circonstanciés (contexte de sécurité, de santé ou de code social par exemple) ?
- Si oui, que ressent mon enfant lorsque je lui signifie qu’il n’aura pas de prise sur la décision ? Comment puis je lui montrer que je comprends sa difficulté tout en maintenant mon cadre ?
- Y a -t-il des compromis à trouver qui permettraient de répondre à mes besoins de parent dans cette situation, tout en respectant le besoin de mon enfant de décider pour lui-même ?
Nos enfants sont-ils capables ?
La prochaine fois que votre petit de 18 mois essayera de passer au dessus d’un obstacle qui vous semble trop haut. La prochaine fois que votre fille de 8 ans vous demandera de sauter du plongeoir de 10 mètres. La prochaine fois que votre fils de 4 ans et demi vous demandera pour aller chercher tout seul le doudou oublié dans la voiture. La prochaine fois que l’un de vos enfants voudra faire quelque chose qui vous fait peur ou vous fait dire qu’il n’est pas capable : demandez-vous pourquoi vous pensez cela, interrogez vos croyances, vos principes, mettez les à l’épreuve du réel.
Pendant les congés de la Toussaint j’ai discuté de tout ça avec ma mère. Elle me racontait qu’enfant, à 10 ans à peine, elle faisait 10 kilomètres en vélo seule pour aller d’un endroit à un autre. Elle était un peu affolée en y repensant, me disant qu’il aurait pu lui arriver n’importe quoi, comme crever au bord de la route par exemple et se retrouver toute seule. Et qu’elle n’était pas capable à cet âge là de faire face à un problème pareil.
Je lui ai fait remarquer la nuance entre « ne pas être capable » et « ne pas avoir appris ». Dans sa situation à l’époque, ce qui était problématique, c’est qu’elle faisait quelque chose en n’ayant pas été suffisamment outillée en amont pour affronter un imprévu ou une avarie de son matériel. Si elle avait eu ces connaissances là à l’époque, sa croyance aujourd’hui serait peut-être qu’elle ne risquait rien puisqu’en cas de problème, elle savait exactement quoi faire et comment réparer son vélo.
Nos enfants sont capables de tout : depuis leur naissance, ils ont engrangé un nombre démentiel de compétences bien plus complexes que changer une roue de vélo 🙂 En revanche, ils peuvent avoir besoin d’outils pour mettre en oeuvre leurs capacités. L’expérience de l’adulte peut amener des solutions concrètes à un enfant qui cherche à faire seul quelque chose.
Ne faisons pas à leur place, et ne les empêchons pas de repousser leurs limites. Même si ça nous fait peur ! Cette peur nous appartient, ce n’est pas la leur.
La confiance que nous plaçons en nos enfants est fondamentale dans leur développement présent mais aussi futur !
Je vous laisse sur ces quelques réflexions, en espérant que cela vous donnera envie d’échanger via les commentaires 🙂
J’aime beaucoup ton article car il fait écho à pas mal d’éléments qui me travaillent dans mes relations avec mes enfants actuellement. J’ai souvent eu l’impression d’être du côté des mamans qui « permettent » beaucoup à leurs enfants de tester leur capacité (genre: les miens ont le droit de « m’aider » de couper les légumes avec un vrai couteau depuis qu’ils sont trèèès petits, au grand effroi de mon entourage.; mais néanmoins jamais avoir eu de doigt coupé), tout en restant ferme sur certaines choses que je juge « bonne » pour eux (politesse, heures de coucher, respect, etc). Or dans les conflits que je rencontre avec eux, je me rends compte que souvent s’opposent des choses que je leur impose et qui sont liées à ces croyances de ce qui est « bon pour eux ». Et comme j’en ai marre des ces conflits, depuis un certain temps, j’essaie de prendre une autre voie et de repenser les choses. Par exemple, hier soir, crise de mon 3 ans et demi parce qu’il voulait ouvrir tout de suite toutes les cases de son calendrier de l’Avent reçu le matin. Cris et énervement des 2 côtés. Moi qui ne veut pas lâcher parce que « un calendrier de l’Avent, on n’ouvre pas tout le même jour et que c’est bien d’apprendre à différer la satisfaction d’un plaisir » et mon 3 ans qui VEUT son cadeau. Et d’un coup, je me suis dit qu’il n’avait pas choisi de recevoir un cadeau où il faut attendre, c’est moi qui lui ai offert et qu’à 3 ans la notion de durée est encore très floue. Que je lui imposait ma vision de ce cadeau. Donc j’ai lâché. Certains jugeront peut-être que j’ai cédé au caprice, mais je ne l’ai pas ressenti comme ça. Au matin, quand il a vu sa grande soeur ouvrir sa case et il m’a dit « Moi, j’ai tout ouvert – Oui, tu as tout ouvert ». J’ai vu que l’idée « tournait » dans sa tête. Et que le calendrier de l’Avent de l’année prochaine sera peut-être le bon. PS: Je crois qu’il va vraiment falloir que je te commande ton ebook un de ces jours ^^
Oui c’est vraiment un point sur lequel j’essaie de faire attention (bon j’ai une nature confiante ça aide) mais pas facile des fois de trouver le bon numéro d’équilibriste : autant je sais le faire quand il s’agit justement de les laisser faire ce qu’il pense être capable de faire au parc, à table, en cuisine autant le point qui me turlupine beaucoup en ce moment c’est la tétine est ma 5 ans. Je suis sans cesse sur le fil entre sa volonté de prendre la tétine ainsi que sa volonté d’être « jolie » et le fait de la limiter au réveil et au moment de fatigue en général, c’est une lutte constante et je ne sais pas si le combat en vaux la peine, elle avait réussi à un moment à limiter d’elle même puis a recommencer à la prendre et j’ai donc du de nouveau remettre les règles définis ensemble en place… peut être que c’était une rechute passagère et peut être que si je l’avais laissé gérer elle aurai réussi à se relimiter mais je n’ai pas su. Quand j’ai vu que ses dents recommençaient à partir en vrille alors qu’elle s’étaient remis d’aplomb quand elle avait limité, j’ai craqué et pourtant à chaque crise je doute (d’autant que j’ai sucé mon pouce jusque tard). Pourtant je me dis que son cerveau rationnel n’est pas encore mature et que c’est donc normal qu’elle n’arrive pas à se réguler et que donc c’est à nous de le faire pour elle mais en même temps elle a toujours eu un fort besoin de succion alors est ce que nous ne devrions pas la laisser satisfaire ce besoin ?!
En revanche je suis assez fière d’avoir réussi à lâcher prise sur ces choix vestimentaires, effectivement après de nombreuses batailles, j’ai réussi à me rendre compte qu’elle était capable d’assumer ses choix et que ce n’étais pas à moi de décider qu’elle ne devait pas porter de robe parce que trop froid ou pas pratique. Je me contente donc de l’informer de la météo le matin et elle décide… et elle ne s’est jamais plaint d’avoir froid…
C’est vraiment un travail quotidien de remise en question d’être un parent en conscience (voir le dernier article d’happynaiss)
Merci pour ce commentaire très intéressant (et pardon pour le délai de ma réponse !) Ta question sur la tétine me parle parce que c’est un sujet de discussion qui revient souvent avec ma maman. Marin a une tétine, pour la nuit et les phases de sieste ou de petit coup de barre / chagrin. Il va avoir 5 ans en juin prochain. Alors je précise que pour les phases de coup de barre / chagrins, il a évidemment un maximum de câlins etc, la tétine ne vient pas remplacer un soutien inexistant…mais il en a besoin, je crois que ça ajoute à son apaisement de façon très nette. A la maison il n’y a pas de règle à ce sujet : tu as besoin, tu prends. Et si tu prends, la seule règle c’est : tu la retires si tu veux me parler. Ca fonctionne plutôt bien, il ne l’a pas en permanence et je dirais que sur une journée il passe 90% du temps sans. Ma maman elle ressent le besoin de mettre une règle claire : la tétine reste dans le lit jusqu’au soir… J’aime ton interrogation sur le fait que ce soit ou non à nous de réguler l’enfant. Est-ce vraiment notre rôle, ou est-ce une croyance adulte ? A -t-on vraiment besoin de réguler les enfants ? Ou bien se régulent-ils d’eux même au fur et à mesure que leur cerveau rationnel se développe ? Je trouve que ça ouvre de belles réflexions sur le rapport à l’enfant.
Merci pour ton témoignage !