« Je veux mon ami Pierre, tralalalalala lala la la… »

On connaît tous cette chanson n’est-ce pas ? Ne pleure pas Jeannette. Toute mon enfance…je revois ma grand-mère la fredonner si souvent avec moi.

La semaine dernière, j’écrivais à mes 16 ans . Je vous racontais mon ami Pierre, et mon incapacité à rentrer à nouveau en contact avec lui depuis près de trois ans. Ecrire ce texte m’avait remise en action pour continuer à le chercher et j’ai finalement pu appeler sa maman, le lendemain. Malheureusement, en guise de nouvelles de mon ami que je pensais parti faire le tour du Monde pour rester aussi longtemps sans donner de réponse, j’ai reçu comme une masse l’annonce de son décès, survenu peu de temps après notre dernier contact. Il avait 30 ans. A 30 ans on ne meurt pas, pensais-je, il était forcément quelque part, même à l’autre bout du globe. Mais si, on meurt à 30 ans, parfois.

Depuis, je suis habitée d’une douleur infinie. Cette nouvelle est encore inacceptable pour moi. C’est au delà de l’amour que je pouvais lui porter, et au delà de la force des émotions que j’avais gardées de cette époque du lycée. Il me faut désormais comprendre que ce jour de retrouvailles que j’étais persuadée de voir arriver, demain ou dans 10 ans, n’arrivera finalement jamais. Je suis meurtrie au plus profond par une si amère sensation d’inachevé. Par la tristesse de ne pas avoir pu lui dire à quel point il avait compté pour moi, et à quel point mon coeur lui avait fait une place immortelle. Par l’injustice de ce départ tellement prématuré. Par la colère de voir la Vie rafler une âme si jeune. Les émotions se bousculent en moi depuis 10 jours et je passe tantôt par des phases de larmes que rien ne peut arrêter, et tantôt par des phases plus apaisées ou les souvenirs dessinent sur mes lèvres un sourire plein de tendresse, pour ces moments qui seront maintenant encore plus précieux qu’ils ne l’ont jamais été.

« Sois forte ». « La vie continue ». « Il faut aller de l’avant ». « Il faut penser aux Vivants ». Qui n’a jamais prononcé au moins une de ces formules face aux larmes de quelqu’un qui pleure un proche ? Nous le disons avec la plus douce intention du monde et depuis que j’ai appris la mort de Pierre, j’ai reçu ces formules plusieurs fois, de diverses personnes à qui j’ai exprimé mon immense peine.

Mais ne me demandez pas d’être forte quand la tristesse s’abat et m’accable. Je vais d’abord me laisser le droit d’être triste et de pleurer tout ce que mon coeur a à pleurer, et ensuite je pourrai être forte. Demain, ou dans trois semaines. Rassurez-vous. Mais avant cela je vais m’autoriser à être humaine. Je vais accueillir ma tristesse parce qu’elle a besoin que je lui ouvre les bras pour se déchaîner. Car à vouloir rester fort quand l’âme n’a besoin que d’être pleinement tournée vers sa douleur, on ne fait que la contenir maladroitement et elle reste là, tapie dans tous les gestes du quotidien. Elle partira bien plus vite si je la laisse m’emporter rien qu’un peu, pour laisser place aux souvenirs qui ne font plus pleurer mais sourire.

Ne me dites pas de penser aux Vivants quand toutes mes pensées inondées de larmes vont vers Celui que je viens de perdre pour toujours. Je vais d’abord m’autoriser à ne penser qu’à Lui, à Lui parler à voix haute pendant des heures, seule dans mon appartement, à Lui demander de faire un signe, de faire tomber un truc ou de claquer une porte, c’est bien comme ça que font les esprits dans les films n’est-ce pas ? Ensuite je pourrai penser aux Vivants. Rassurez-vous. Mais avant, je dois pleurer mon mort, pour le laisser partir.

Ne me dites pas d’aller de l’avant. Car maintenant que je dois accepter de ne plus jamais le revoir, tout ce qu’il me reste de Lui, c’est le passé. Alors si ça ne vous dérange pas, je vais aller me promener quelques temps dans notre passé, encore juste un petit moment, ce ne sera pas long, promis. Juste le temps de revoir ces deux jeunes adolescents que rien ne pouvait séparer. Et puis quand j’aurai pu déposer un baiser sur chacun de mes souvenirs, je reviendrai et j’irai de l’avant, parce qu’ainsi va la vie et que jamais Il n’aurait accepté que la Terre s’arrête de tourner après Lui.

Il nous est souvent très difficile de voir nos proches anéantis par l’annonce d’un décès. On se dit que ces phrases leur permettront de garder le cap, de tenir le coup. Mais moi je me demande si la meilleure réponse à la mort ne reste pas simplement les bras ouverts, et le silence tout autour, pendant que les coeurs explosent d’une douleur infinie.

Bon voyage Pierre, mon ami, mon amour de jeunesse, dans ce nouveau monde que je ne connais pas encore.

Illustration : coloriage « Ne pleure pas Jeanette » sur le site Hugo L’escargot.