On dit souvent que les enfants sont des « éponges ».

Qu’ils ressentent tout, absorbent tout, et ce dès la naissance. C’est tout à fait juste, mais je crois que si notre culture ne s’appliquait pas à nous couper très tôt de nos ressentis, nous pourrions tous garder cette faculté d’empathie tout au long de la vie. Les enfants sont des éponges parce que jusqu’à ce que l’on tente de les faire rentrer dans le cadre étroit des émotions acceptables, ils sont encore vierges de restrictions, ils vivent l’instant présent et y puisent tout ce qu’il y a à puiser, y compris les énergies, et les émotions. Le lien qu’ils entretiennent avec les autres est encore pur, et leur présence au Monde est pleine et entière. Ils donnent sans compter, aiment sans conditions, et reçoivent de la même manière.

On dit souvent qu’ils sont innocents et naïfs.

Et ainsi on se souvient, que leur vision du monde n’est pas la nôtre. Que quelque part en nous, notre enfant intérieur cherche encore une façon de nous faire voir le monde avec nos yeux d’enfant, mais qu’on se l’interdit parce que le quotidien et ses responsabilités, parce que l’avenir et ses doutes, parce que la vie et ses peurs…

On les dit innocents et naïfs, mais n’est-ce pas réducteur ? L’âgisme – ou cette habitude ancrée si loin, qui tend à affirmer que parce que l’enfant est jeune et vulnérable, alors il n’est que jeune et vulnérable et qu’ainsi il n’a pas voix au chapitre – se satisfait bien de ces deux adjectifs. Innocents et naïfs, qui justifient tant de choses que l’on s’autorise, une fois adultes, pour formater les enfants à devenir ce que l’on veut qu’ils deviennent, au détriment de ce qu’ils sont réellement.

Parce qu’ils sont innocents et naïfs on les protège, mais on leur ment aussi. Incapables que nous sommes de laisser vivre en nous notre enfant intérieur, dépossédés depuis si longtemps de nos facultés à vivre l’instant présent, nous comptons sur nos enfants pour combler notre besoin d’émerveillement que nous ne savons plus combler nous-même. C’est ainsi que nos petits croient au Père-Noël, parce que c’est nous adultes, qui poursuivons la magie perdue dont nos enfants deviennent le vecteur.

On les dit innocents et naïfs. J’aime les dire philosophes.

Habiles à créer des ponts improbables entre leurs idées, ou les nôtres. Qui n’a pas entendu un jeune enfant parler de la mort, de l’amour, de la peur ou du bonheur en des mots qui laissent sans voix les adultes que nous sommes ? Il y a quelques mois, ma fille m’a posé des questions sur la réincarnation. Elle souhaitait savoir si nous avions plusieurs vies et si oui, si l’on pouvait choisir sous quelle forme on voulait revenir. « Par exemple, dans une étoile, ou dans une fleur ? ».

Parfois en adultes gênés que nous sommes face à ces questions perturbantes auxquelles personne n’a vraiment la réponse, nous avons tendance à rire, avec bienveillance certes, mais à rire tout de même. Mais est-ce drôle, ou est-ce plutôt extrêmement profond ? Si l’on prend le temps d’écouter l’enfant sur les raisons de son interrogation, sur ce qu’il en pense au fond de lui, on est toujours surpris par la dimension de sa réflexion et la conversation peut aller loin dans la philosophie.

Un autre jour de 2017, alors qu’on regardait Coco au cinéma, et que je traversais une période compliquée d’un deuil qui m’est encore extrêmement douloureux aujourd’hui par ce qu’il implique d’inachevé, je n’ai eu besoin de rien dire : lorsqu’elle a compris le message que délivrait ce magnifique Pixar, elle s’est penchée vers moi et m’a dit simplement du haut de ses 5 ans et demi : « Tu vois, maman, ton ami il ne sera jamais mort si tu continues à te souvenir de lui. Regarde des photos de lui, il saura que tu t’en souviens ». Plus tard le même jour, elle m’a dit que puisque moi aussi j’allais mourir, il fallait juste que sois patiente pour pouvoir retrouver son âme. Que dire, face à tant de sagesse ?

Que dire, sinon que nos enfants nous font grandir.

Et qu’ils nous poussent sans cesse à regarder en nous. Parce qu’ils sont des éponges, ils sont aussi le parfait miroir magique de nos états intérieurs. N’avez-vous pas remarqué que lorsque nous avons envie de dire à un enfant qu’il est insupportable, ce n’est jamais dans un moment où nous sommes parfaitement en paix avec nous-même ? N’avez-vous pas remarqué que lorsque nous sommes libérés du stress, de nos frustrations, de nos attentes et de nos exigences, nos enfants soudainement ne sont plus insupportables mais tout simplement vivants ?

Il m’aura fallu rentrer dans l’univers passionnant de la CNV pour comprendre cela. Pour comprendre que quand je trouve mes enfants insupportables, ce n’est pas eux la source du problème, eux ne sont que des enfants, avec des attitudes d’enfants, avec des erreurs d’enfants, avec des explorations d’enfants. Ils n’ont évidemment pas la volonté d’être insupportables, et dire qu’ils le sont revient à leur coller une étiquette d’une grande violence.

La source de mon problème, ce sont mes besoins qui ne sont pas comblés à l’instant où j’enverrais bien tout le monde dans sa chambre. Ces besoins non comblés, quand on n’a pas appris à les exprimer, nous poussent à adopter des attitudes que l’on pense utiles pour obtenir ce que l’on souhaite, mais qui en réalité génèrent stress et révolte, ni plus ni moins. Quel être humain peut avoir envie de nous aider à combler nos besoins lorsqu’il est stressé et révolté, alors même que nos réactions ne tiennent pas compte des siens ?

Marshall Rosenberg, le fondateur de la Communication NonViolente, dit ceci à propos de la colère :

La colère nous apprend trois choses : 1 – Je désire plus que tout quelque chose que je ne parviens pas à avoir ; 2 – Je me raconte que quelqu’un devrait me la donner ; 3 – Je m’apprête à faire quelque chose qui m’assure que je ne l’aurai pas.

Mes enfants me font grandir, et avec eux j’apprends chaque jour.

J’apprends que lorsque je ne supporte plus leurs comportements, c’est parce qu’ils me parlent de moi. De mon stress, de mon impatience, de mes besoins que je ne prends pas le temps d’écouter ni de formuler avec authenticité. Les enfants eux, empathes qu’ils sont, ont perçu tout ce qui en nous n’était pas aligné. Leur mission est de nous le révéler puisqu’en leur faisant porter la responsabilité de notre état, nous leur montrons que nous n’avons pas encore compris ce qui se jouait en nous.

L’enfance est le parfait miroir des adultes qui l’entourent. Elle reflète ce que nous ne voulons pas voir et dont nous rejetons la responsabilité sur les autres, parce que nous n’avons pas appris à décoder le lien fondamental entre nos sentiments et nos besoins.

Dernièrement, j’ai vécu une période de pression intense qui a duré plusieurs mois. Un travail prenant, des questionnements personnels, des objectifs ambitieux réveillant de vieilles peurs et d’au moins aussi vieilles croyances. Mon alignement était fragilisé et mes enfants ont parfaitement joué leur rôle : intenables, parfois insolents, surexcités, en conflit permanent dans la fratrie. J’ai maintes fois dit à mes amis pendant quelques semaines que la période était difficile, que nos relations étaient tendues. Mais je savais aussi qu’en les regardant je ne faisais que me regarder dans un miroir. Je leur ai plusieurs fois répété que je savais qu’ils me parlaient de moi et de ce que je leur faisais absorber, et que j’avais confiance dans le fait que très bientôt ils me raconteraient une autre histoire.

Depuis la pression est retombée, les échéances sont passées, et bien évidemment le reflet du miroir a changé. J’ai dans mon histoire de mère de multiples expériences de ce type. A chaque fois que j’ai envie de me dire que mes enfants sont insupportables, je sais que c’est en moi que je dois chercher les clés du dénouement : quels besoins n’ai-je ni écouté, ni exprimé ces temps-ci ?

Apprenons à questionner les reflets des miroirs de l’enfance, et à en tirer les bonnes réponses.

Celles que nos enfants ne font qu’éclairer de leur petite lumière naïve, innocente et philosophe.

Les miroirs de l'enfance
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