J’ai envie de parler de l’assiette de nos enfants.

Parce que voyez-vous, quelque chose m’interroge depuis un long moment maintenant et deux événements récents me font dire que c’est le moment de mettre tout ça à plat et éventuellement de vous demander ce que vous en pensez.

Evénement n°1 :

Une semaine sur deux, je vis avec mes enfants. L’autre semaine, ils sont chez leur papa. Les mercredis où mes enfants sont là, je déjeune en tête à tête avec ma fille. C’est son petit moment préféré de la semaine je crois parce que j’organise toujours un peu ce déjeuner comme une fête : son plat préféré, ou un bon dessert juste pour nous deux, ou parfois même je l’emmène au restaurant. Elle adore ces deux heures du déjeuner du mercredi, je pense que c’est parce que pour une fois dans la semaine, elle est seule avec moi, sans son petit frère, et qu’elle a sa maman pour elle toute seule. Ma fille a besoin de ça, de m’avoir un peu pour elle toute seule et le mercredi, je m’organise pour qu’elle puisse vivre ce besoin pleinement.

Le mois dernier, je l’ai emmenée au restaurant juste en bas de la maison. Au moment de choisir son repas, elle était attirée par tout ce qui était destiné aux adultes. Problème : les assiettes adultes sont trop grosses pour son appétit de 4 ans et demi. J’appelle donc la serveuse et lui demande s’il serait possible de commander un plat adulte pour elle mais en version mini (avec l’addition qui va avec, bien sûr…). Un peu gênée, elle m’explique que non, car la gestion des stocks, car ensuite qu’est-ce qu’on fait de la demie-entrecôte restante, et les escargots c’est forcément par 12, et blablabla…pour finir par me dire

Mais sinon il y a les menus enfants qui sont très bien !

Je replonge dans la carte pour constater la qualité du dit-menu et je lis « nuggets-frites », « poisson pané-frites », « steack haché-frites ». J’expose toute la richesse de cette proposition à ma fille qui me regarde d’un air blasé et finit par me dire

Ben non mais moi je voulais la viande avec les carottes et le boulghour !

Je me tourne à nouveau vers la serveuse et lui demande de patienter, le temps qu’on s’organise, parce qu’il me paraissait assez inenvisageable d’imposer à ma fille un menu enfant qui ne lui faisait aucunement envie pendant que moi je mangerais elle devant un plat sympa et plein de saveurs qui lui plaisent. J’ai donc opté pour un seul plat, adulte, à partager toutes les deux, en demandant à la serveuse de n’amener à ma fille qu’une assiette et des couverts pour qu’on ne soit tout de même pas obligées de manger à tour de rôle. Ainsi fut dit, ainsi fut fait.

Evénement n°2 :

A la sortie de l’école une après-midi, une maman copine m’attrape au vol et m’explique qu’avec sa reprise du boulot elle est embêtée pour les lundis midi, et qu’elle cherche quelqu’un pour faire manger son fils qui est dans la classe de Lou. Je lui explique que pour moi c’est compliqué avec le boulot et lui propose assez naturellement de se tourner vers la cantine pour les lundis où ses horaires posent problème. Elle me confie qu’elle ne sait pas trop, parce que son fils est assez difficile et qu’elle a peur qu’il ne mange pas ces jours là. Je tentais de la rassurer en lui expliquant qu’il y avait de fortes chances qu’en mangeant avec ses copains, il soit tout à fait enclin à manger lui aussi et que quoiqu’il arrive, il ne se laisserait pas mourir de faim devant son assiette quand une dame me dit

Non mais vous avez vu les menus ? Ce ne sont pas des menus pour les enfants ça. Salade de betteraves, endives, gratins ! On ne donne pas ça à des enfants de 5 ans !

Je suis restée désemparée devant cette remarque.

J’ai dabord eu envie de lui dire que mon fils de deux ans et demi mangeait des pois-chiches et du curry, adorait les lentilles corail et les betteraves ainsi que le gratin de chou-fleur ou le flan de brocolis puis je me suis ravisée et j’ai simplement demandé « mais c’est quoi des menus pour les enfants alors ? ».

A ce moment là les enfants sont sortis et la discussion n’a pas pu aller plus loin.

Je n’écris pas ce billet pour railler cette dame, ni pour la juger bien évidemment, elle a sans doute sa propre histoire qui l’amène à penser ainsi, mais en revanche cet échange a résonné très fort en moi, je suis vraiment restée abasourdie. Une autre de mes amies était présente et m’a expliqué qu’à Noël, les enfants d’une de ses amies (je crois) n’avaient eu droit qu’à des nuggets quand les adultes étaient attablés devant saumon fumé et autres foies gras, parce que ce sont des enfants et que donc, ce n’est pas pour eux tout ça.

On entend tout le temps que les enfants sont difficiles.

Mais l’ont-ils choisi ou bien est-ce les adultes qui leur apprennent à l’être en restreignant leur univers gustatif à certains aliments ou ingrédients ? Comment se fait-il qu’au restaurant, tous les plats de la carte ne soient pas disponible en version demie-portion ? Comment se fait-il que les menus enfants soient toujours et invariablement les mêmes, partout ? Parce qu’on a 4 ans, on n’aurait le droit qu’au steack haché ? Et pourquoi pas à la tartiflette, à la cassolette de poireaux ou au feuilleté de potimarron ? Qu’est-ce que c’est que cette société qui pendant les premières années, cantonne les enfants à la pauvreté gastronomique et, passé la barre des 10 ans, s’étonne que les enfants n’aiment pas les légumes, rechignent à goûter de nouvelles choses ? Le palais, c’est comme le reste, ça s’éduque, ça se travaille. Les enfants ont droit aux épices (voulez-vous que je vous parle de la passion de Marin pour le poivre ? Il en met partout et je le laisse faire ! Et s’il dose trop, il apprend que le poivre c’est délicieux mais qu’il faut l’utiliser avec parcimonie), les enfants ont droit aux légumes braisés, les enfants ont droit aux préparations sophistiquées.

Les enfants ont juste le droit de manger comme nous, et de construire leur propre goût avec toute la variété des aliments que nous leur proposons.

Depuis qu’ils se sont intéressés aux solides, mes enfants ont toujours mangé comme nous. Ils ont toujours eu le droit de piocher dans tout ce qui était sur la table. Dans le cas où je prépare quelque chose de vraiment très relevé, je fais une petite réserve avec un peu moins d’épices mais je leur fait goûter l’original en premier. S’ils aiment, je remets la version adoucie dans la casserole, s’ils n’aiment pas je leur dit que dans le doute j’avais gardé une petite part moins relevée. Dernièrement, j’ai préparé des croquettes de lentilles vertes aux oignons et au curry. Bien relevées. Lou a goûté et m’a dit « ah maman j’aime pas ça me fait fort dans la bouche ». Je lui ai demandé si elle n’aimait pas le goût des croquettes ou bien si c’était juste les épices qui étaient un peu trop fortes. Elle m’a répondu que c’était les épices. Je lui ai montré que quand un plat est un peu relevé, on peut adoucir cet effet en buvant un petit verre d’eau, ou en trempant la croquette dans la sauce au yaourt. Une fois qu’elle avait compris ça, elle s’est resservie trois fois et m’a demandé d’en refaire.

Je ne vous raconte pas ça pour vous dire « regardez, moi mes enfants mangent de tout, je suis vraiment une super maman ». Non pas du tout. Par contre je me demande vraiment pourquoi on fait tout pour que les enfants n’aient pas d’autre choix que d’être difficiles. Marin mange des oignons et de l’ail crus, il tape systématiquement dedans quand je cuisine. Jamais je ne lui ai dit « ah non je ne te donne pas ça ça pique trop ». Oui ça pique, et alors ? A 2 ans et demi on peut aimer les choses qui piquent, et nous adultes, n’avons pas le droit de leur interdire l’accès à tel ou tel aliment sous-prétexte qu’on se dit que peut-être ils n’aimeront pas. Au pire, l’enfant goûte, se rend compte qu’il déteste, que ça pique vraiment trop, ou que sais-je et il n’y reviendra plus. Il aura la bouche emportée quelques instants mais quelle importance ? C’est ça aussi le goût ! « Ah ça non je veux pas manger, j’ai déjà fait, ça pique trop ! ». Même à 18 mois on peut avoir ce raisonnement là, ce n’est pas aux adultes à décider ce qu’il est bon ou pas de mettre dans l’assiette des enfants. Notre rôle est de les accompagner dans ces découvertes, qui sont une richesse de la vie.

Bien sûr les enfants aiment les frites, les steack hachés, les nuggets et les poissons panés. Mais est-ce une raison pour les y cantonner ?

Les menus enfants, ça m’énerve, mais vraiment !