« Maman, tu sais où elle habite, Léonie ? »
Marin m’a posé cette question hier soir dans la voiture. J’ai répondu non. Il s’est mis à pleurer.
Il m’avait déjà parlé de cette petite Léonie, « mon amoureuse » comme il la décrit depuis la moyenne section. Je ne l’ai vue qu’une ou deux fois, dans les couloirs de l’école maternelle. Cette année au CP, elle est encore dans la même école que lui, mais plus dans la même classe.
Il n’en parle pas souvent, ça faisait d’ailleurs plusieurs mois qu’il n’avait pas cité son prénom à la maison. Le voyant les larmes aux yeux, secouant la tête et disant « oh non, mais c’est la catastrophe, comment je vais faire ?« , je me suis souvenue que ce dimanche c’était la Saint-Valentin et que nous étions en pleines vacances scolaires. Je lui ai demandé s’il pleurait parce qu’il ne pourrait pas lui donner quelque chose ce jour là, ce à quoi il a répondu « mais comment elle va savoir que je pense à elle si elle ne reçoit rien dimanche ?« . Il avait l’air vraiment très triste, et angoissé aussi à l’idée que Léonie ne puisse pas recevoir un signe de lui en ce jour spécial.
Je précise d’ailleurs, que cette culture de la Saint-Valentin ne lui vient pas de moi….je n’accorde pas grande importance à cette fête (pour ne pas dire aucune). J’entends cependant qu’elle puisse avoir un sens pour d’autres, y compris pour un enfant de 7 ans. Nous avons donc énuméré les camarades qu’ils avaient en commun, susceptibles de pouvoir nous donner les coordonnées de Léonie, malheureusement nous n’en avons pas trouvé. Le père de Marin n’avait pas non plus d’idées pour réussir à la contacter.
La meilleure solution qu’il nous restait était de lui préparer une carte, et d’attendre la rentrée pour lui donner. J’ai donc pris un moment avec mon fils dans mon atelier pour choisir des jolies papiers, des enveloppes colorées, et le restant d’un carnet de timbres collectors Saint-Valentin datés de 2019. Au moment de partir ce matin pour la semaine chez son père, nous avons mis tout ça dans une pochette, pour qu’il puisse créer sa carte tranquillement et avoir le choix des matériaux à ce moment là.
Satisfaisant, mais pas tout à fait. Il a reparlé plusieurs fois de sa déception devant l’impossibilité de lui transmettre ses pensées le jour J. Ca avait l’air vraiment très important pour lui et ça m’a fait de la peine de me rendre compte que je ne pouvais pas l’aider comme il l’aurait souhaité.
Je me demande pourquoi, souvent, les adultes minimisent le sentiment amoureux chez les enfants.
Combien d’adultes rient quand un jeune enfant dit qu’il est amoureux ? J’ai souvent assisté à des scènes où ce sentiment, exprimé par les plus jeunes, était réduit à quelque chose de mignon, de drôle, sujet à plaisanteries ou à taquineries. Comme si ça n’était pas vraiment de l’amour, comme si ça ne pouvait pas en être du fait de ce jeune âge.
Et ça dure assez longtemps : à l’âge adolescent, les premières peines de coeur recueillent souvent un « allez, ça va passer », quand ce n’est pas un « ne t’en fais pas, tu en trouveras d’autres ! ».
Oui, et alors ? Est-ce que ça rend cette déception là, cette tristesse là, moins difficile ? Au contraire, je pense même que ça l’empire : non seulement la tristesse n’est pas reconnue, mais en plus elle est minimisée, comme si à cet âge là ça ne pouvait pas avoir grande importance.
Comme si il y avait une hiérarchie dans la valeur et la profondeur des sentiments entre les adultes et les enfants. Ceci étant dit, ça ne serait pas le premier domaine de la relation adulte-enfant où cette prévalence de l’adulte sur l’enfant ferait sa loi.
Je me souviens parfaitement de mon premier amour d’école.
Il s’appelait Raphaël, j’avais à peine 8 ans, j’étais arrivée en classe de CE2 à Mulhouse après un déménagement. Il était blond, avec les cheveux en brosse comme c’était la mode à l’époque. Il avait les yeux bleus et un visage d’ange. Je me souviens extrêmement précisément de la sensation que j’ai eue la première fois qu’on a joué ensemble dans la cour. Je me souviens de sa voix, de sa façon de se déplacer, de certaines choses qu’on se racontait aussi.
Je me souviens de la lettre d’amour que je lui avais écrite et maladroitement donnée à la sortie un soir. Elle disait « Je t’aime, est-ce que toi tu m’aimes ? » suivi de 2 cases à cocher : Oui et Non. Le lendemain matin, il m’avait tapoté sur l’épaule, redonné la lettre avec un petit sourire. Je l’avais ouverte toute tremblante et je me souviens avoir eu l’impression de léviter quand j’ai vu que la case Oui était cochée.
A partir de ce jour là, nous étions inséparables à l’école. En équipe en sport, en tandem à la récré, quand on trouvait l’un, on trouvait l’autre. Notre instituteur avait eu la gentillesse de nous désigner également cavaliers pour le spectacle de fin d’année sur le thème des danses de bal. C’est avec Raphael que j’ai dansé mes premières valses et je ne sais pas si c’est dû à mon hypersensibilité, mais je me souviens aussi de la sensation de sa main qui tenait la mienne pendant que nous dansions. Nous sommes restés ainsi, jusqu’en CM2, année pendant laquelle j’ai déménagé pour une autre région, et je ne l’ai plus jamais revu.
Je repense souvent à lui, avec beaucoup de tendresse. Je l’ai même retrouvé grâce à Facebook il y a quelques années, et j’avais été touchée de constater que lui non plus n’avait rien oublié !
C’était il y a 30 ans, et c’était vraiment, vraiment important.
D’adulte à adulte, on ne se dit pas « Allez, ça va passer » quand on discute d’un chagrin d’amour. On n’oserait pas dire non plus à quelqu’un qui souffre d’une rupture ou d’une absence « Tu en trouveras d’autres ». On ne rit pas non plus quand quelqu’un nous dit être tombé-e amoureux-se.
Alors, pourquoi le fait-on avec les enfants ? Etre plus jeune ne signifie pas ressentir moins fort. Ressentir l’amour, ça peut arriver à tout âge, et c’est aussi important d’en prendre soin à 7 ans qu’à 70, je crois.
Le problème qu’ont les plus jeunes, bien souvent, c’est que le suivi de leur relation a régulièrement besoin de l’intervention d’un adulte pour permettre des retrouvailles, des cadeaux ou des correspondances. Nous avons tout intérêt, je pense, à faire de notre mieux pour valoriser les relations amoureuses de nos enfants dès le plus jeune âge. A les soutenir dans leurs intentions, dans leurs envies, dans leurs déceptions aussi. A leur faire comprendre que nous prenons très bien la mesure de ce que ça peut faire, dans le coeur et dans la tête, d’aimer quelqu’un. Parce que nous aussi, nous aimons.
Finalement et encore une fois, la seule différence entre les adultes et les enfants, c’est l’expérience.
Une de mes comédies romantiques préférées est Love Actually.
Pour plein de raisons, et notamment pour la façon dont Liam Neeson joue le rôle d’un adulte prêt à tout pour aider Sam, un petit garçon de 8 ans, à avouer à Joanna qu’il l’aime comme un fou.
Pendant tout le film, Sam décrit ses sentiments pour elle, et montre qu’il est prêt à tout donner pour qu’elle l’aime en retour. L’adulte ici donne à l’enfant tous les moyens dont il dispose pour lui permettre d’y arriver, jusqu’à l’encourager à enfreindre les règles, offrant à Sam l’occasion de se faufiler jusqu’à la porte d’embarquement avant que la jeune fille ne décolle pour toujours.
J’ai vu ce film 20 fois, j’ai pleuré sur cette scène 20 fois. Elle me touche profondément par la légitimité et l’importance qu’elle donne au sentiment amoureux de cet enfant. C’est un parti pris fort du scénario tout au long du film, jamais les sentiments de Sam ne sont minimisés. Au contraire, ils prennent une place très importante.
Je ne résiste pas à vous mettre une petite vidéo de cette scène finale, qui commence réellement vers 1min10, en anglais ici mais les paroles ne sont pas indispensables, les images parlent très bien toutes seules 🙂
[BREAKING NEWS] Pendant que j’écrivais ce billet, le papa de Marin m’a écrit pour me dire qu’il se rappelait finalement l’avoir emmené à l’anniversaire de Léonie il y a 2 ans, et qu’il saurait y retourner. Mon fils va donc pouvoir offrir sa jolie carte à sa bien-aimée, le jour J. Quelle joie pour moi de savoir ça 🙂
Joyeuse Saint-Valentin !
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Quel joli message! Je me rappelle également très bien de mon premier amoureux. Mais je suis d’accord avec toi, les adultes minimisent trop souvent les sentiments des enfants/adolescents et ca peut rester une blessure pendant toute une vie.
Oh c’est très chouette ! Bonne Saint Valentin à Marin et Léonie ❤️ ! Merci d’attirer mon attention sur ce sujet….
Adorable et tes mots sont toujours justes. Je suis heureuse pour Marin ❤️
Merci beaucoup Julie pour ce beau billet. Oui, il est important de reconnaître le sentiment amoureux chez l’enfant, non pas parce que c’est de l’amour (ca n’en est pas plus chez l’enfant que chez l’adulte, comme l’ont mis en évidence les psychologues dans la 2ème moitié du 20ème siècle), mais parce que c’est un sentiment comme les autres : accueillir le sentiment amoureux est aussi important qu’accueillir la peur ou la colère. J’aime aussi les comédies romantiques (je probablement le public cible, tellement j’ai la larme facile pour tout ce qui dégouline de guimauve), mais une fois le générique de fin passé, je reste conscient que scénariser encore et encore les mêmes histoires où les protagonistes sont incapables de faire la différence entre « être amoureux » et « aimer quelqu’un » ne nous aidera pas à sortir des difficultés que nous vivons, particulièrement quand il s’agit de bâtir des couples solides… 🙂
Moi aussi je me souviens très bien de mon premier amoureux et de tous ceux qui ont suivi. Et oui, l’amour peut être fort à tout âge et c’est effectivement plus difficile quand on est petit ♥