Hier soir je suis rentrée de la plage le coeur tout gonflé de gratitude.
Je suis en Bretagne pour 10 jours et après ma journée de travail, vers 18h s’il fait beau, je vais passer un petit moment sur la plage. C’est agréable parce qu’en fin de journée, les touristes sont partis, il reste seulement quelques personnes qui profitent des rayons tous doux du soir.
Hier il y avait deux familles venues ensemble : deux mamans qui ne devaient pas être beaucoup plus vieilles que moi, et leurs enfants : 2 adolescents, je dirais 15 ou 16 ans, et 3 enfants plus jeunes, à vue d’oeil entre 7 et 9 ans.
Cette plage forme une petite anse, dont les deux côtés sont reliés par un petit pont sur l’eau. A marée basse, on a pied jusqu’après lui et il était assez clair que le projet des plus grands était de sauter de ce pont dès que la marée aurait amené suffisamment de fond. Pendant ma lecture, j’avais entendu leurs mères annoncer que le saut serait possible sans doute vers 20h30. L’impatience était palpable (quand un ado de 15 ans demande l’heure environ toutes les 8 minutes, je crois que c’est comme ça que ça s’appelle ^^).
L’un des trois plus jeunes finit par demander à sa mère s’il peut sauter lui aussi. Elle lui répond qu’il doit être accompagné d’un adulte et que ce soir, aussi bien elle que son amie ont un peu froid et qu’elles ne souhaitent pas aller dans l’eau. Que sauter, de plus, leur fait un peu peur car le pont est quand même haut. Ce ne sera donc pas possible aujourd’hui. Voici la suite de leur dialogue :
« Mais maman, c’est pas juste !! Je sais nager ! »
« Comment ça c’est pas juste, tu ne sautes pas sans un adulte c’est tout, et en plus c’est haut, tu n’es pas assez bon nageur… »
« Mais je nage bien ! »
« Tu nages très correctement, mais pas aussi bien que tes cousins, donc tu ne sautes pas seul là bas »
« Mais maman… »
« Bon maintenant tu arrêtes de me parler de ça, et si ça ne te convient pas tu peux aussi rentrer à la maison faire la cuisine avec ton père. Fin de la discussion »
*départ du petit qui shoote dans le premier château de sable qui se trouvait là, visiblement très contrarié*
Que se passe-t-il dans cette version de l’événement ?
- L’émotion de l’enfant face à l’interdiction n’a pas sa place, il ne se sent pas compris
- Les capacités de l’enfant sont mises en doute et comparées à celles des autres personnes, ce qui peut fragiliser sa confiance en lui
- La maman vit quelque chose de suffisamment compliqué ou difficile pour qu’elle ait besoin de faire cesser très rapidement l’échange, quitte à renvoyer l’enfant au domicile.
- L’issue de la conversation met l’enfant en colère, qu’il a besoin d’évacuer en adoptant une attitude violente de destruction
- Ce ne doit pas être agréable pour la maman d’avoir été en conflit avec son fils et d’avoir dû régler les choses sèchement. Le lien entre eux en a été momentanément altéré.
Deux choses me traversent à ce moment là.
La première : du jugement à l’empathie
Au début j’ai eu tendance à réagir négativement en entendant le ton sec utilisé par la maman pour régler la situation avec son fils, à être dans le jugement malgré moi. Mais très vite, mon petit voyant « alerte CNV » s’est mis à clignoter et je me suis plutôt demandé ce qui pouvait guider sa réaction, et créer cette nécessité impérieuse de clore la discussion.
J’ai dégagé plusieurs possibilités :
- Le respect de ses propres limites : l’enfant n’a pas entendu (enfermé dans ses propres besoins non pris en compte) que sa mère ne pouvait pas envisager d’aller dans l’eau ce soir. Devant l’insistance de son fils, elle a pu se sentir forcée à passer au delà de ses limites pour satisfaire ses besoins. La situation est vécue comme une exigence à laquelle elle ne veut pas se soumettre. Elle se défend et tente d’asseoir son autorité.
- Le besoin de sécurité : son analyse de la situation ne lui garantissait pas une sécurité optimale pour son fils
- La difficulté à accueillir les émotions de son enfant : peut-être s’est-elle sentie impuissante à aider son fils à traverser son problème et qu’elle n’a pas réussi à faire autrement que de rendre muet le messager. Il est fréquent chez les adultes, dans un contexte non CNV, d’exiger le silence de l’enfant sur ce qu’il vit non pas pour lui faire comprendre que la règle est indiscutable, mais pour permettre à l’adulte de faire cesser son propre malaise lorsqu’il est impuissant à apporter une solution. C’est un processus inconscient le plus souvent, mais à y regarder de plus près, il est extrêmement courant. Faites l’expérience en repensant à des situations où vous avez pu exiger de vos enfants qu’ils n’expriment pas leurs émotions 🙂 (Je vous rassure, je suis aussi concernée, nous faisons tous de notre mieux ! )
Comme à chaque fois, me connecter aux besoins de la personne en face de moi m’a complètement extraite de la perception négative que j’avais pu en avoir quelques minutes auparavant. Plutôt que de la juger, j’avais surtout très envie de l’aider, ou simplement de lui dire que je voyais que c’était difficile pour elle de ne pas parvenir à trouver une solution dans cette situation. L’empathie est une clé fondamentale de la CNV : elle crée des liens, elle nous connecte aux autres et ouvre les possibles, quand le jugement nous éloigne les uns des autres et n’apporte rien à personne.
La seconde : inventer une autre issue
J’étais triste pour cet enfant qui avait manifestement très envie de sauter et qui se retrouvait dans l’incapacité de le faire pour des raisons qui ne lui appartenaient pas : son âge d’une part, lui imposant d’être accompagné, et les besoins des adultes en présence, qui étaient de ne pas avoir froid dans l’eau. Dans sa voix j’ai entendu une grande frustration, et un sentiment très fort d’injustice. J’étais triste également de l’issue de la discussion avec sa mère, qui n’avait pas abouti à quelque chose de satisfaisant pour chacun et qui avait, pour un temps, brisé le lien.
Je me suis demandé alors ce qu’aurait pu donner cette même conversation en CNV, en sachant que la fin resterait la même (l’enfant ne pourrait pas sauter ce soir). A trois semaines de la reprise des ateliers CNV du mercredi ça ne fait pas de mal de s’entraîner un peu 😛 Voici une proposition :
« Mais maman, c’est pas juste, je sais nager ! »
« Tu trouves injuste que je ne te laisse pas sauter seul alors que tu te sens capable de gérer toi-même une fois dans l’eau ? »
« Oui, je nage bien ! »
« Tu nages très correctement je trouve, et en même temps tu n’es pas encore aussi à l’aise que tes cousins qui ont plus d’expérience. Je ne me sens pas à l’aise avec l’idée que tu sautes sans un adulte, ça me fait peur »
« Mais maman… »
« J’entends que c’est difficile pour toi d’accepter que tu ne pourras pas sauter ce soir, c’est ok d’être frustré dans une telle situation et j’imagine que ce n’est pas confortable du tout. J’ai l’impression que tu as besoin de te dépasser en sautant de ce pont ? »
« Oui, je suis sûr que je peux le faire, je n’ai encore jamais fait un truc aussi dur ! »
« Un peu comme si tu faisais un exploit, quoi ? »
« Oui voilà, je vais me sentir super fort quand je l’aurai fait »
« C’est sûr que quand tu auras sauté de là-haut, tu vas être fier de toi. Et moi aussi, je ne sais pas si j’oserais moi-même ! »
« Alors je peux le faire ? »
« Vraiment, pas aujourd’hui, j’ai besoin de savoir que tu es sécurisé par un adulte au moins la première fois, pour voir comment tu gères la remontée et le retour sur la plage et que je puisse te laisser faire seul ensuite. Ce soir je ne me sens pas du tout d’aller dans l’eau, elle est froide, ça va être trop difficile pour moi. Je te propose qu’on revienne ici cette semaine pour que tu puisses sauter avec moi ou avec ton père quand on sera en mesure de t’accompagner. J’aimerais que tu acceptes de patienter jusqu’à ce qu’on trouve le meilleur moment pour tout le monde »
« Pfffff….bon ok., mais on va le faire un autre jour, hein, c’est promis ? »
« Oui, c’est promis, tu sauteras de ce pont »
Que se passe-t-il dans cette version de l’événement ?
- L’enfant est reconnu dans sa frustration, il n’est pas obligé de la réprimer. Son émotion est légitimée et entendue, ses besoins sont pris en compte.
- Sa mère peut maintenir la règle en expliquant son fondement, tout en reconnaissant qu’elle peut être difficile à accepter car elle est terriblement frustrante. Elle peut rassurer également son fils sur le fait que cette règle est valable aujourd’hui pour répondre à ses besoins de mère, mais qu’il ne s’agit pas de ne jamais sauter de ce pont. Un contexte plus favorable sera trouvé plus tard dans le séjour pour répondre aux besoins de l’enfant, et elle promet d’y veiller
- Le besoin de l’enfant qui motive ce désir de sauter, à savoir le dépassement de soi (ndlr : c’est une supposition pour mon exemple), est reconnu et encouragé. L’enfant renforce sa confiance en lui et en ses capacités
- Le lien entre la mère et l’enfant est préservé
J’ai osé aller proposer une idée avant de quitter la plage
Autant vous dire que c’était un défi pour moi, je me sens souvent tétanisée à l’idée d’aller parler à quelqu’un que je ne connais pas, pour lui proposer une autre façon de faire qui pourrait l’aider la prochaine fois. Je crains que la personne ne se sente jugée même si je veille à la façon dont je formule les choses, et de fait j’ai également peur d’être rejetée, et donc de me sentir incomprise dans ma démarche initiale qui est absolument bienveillante. Mais cette fois, j’ai osé le faire et c’était une très bonne décision !
Voici notre dialogue :
« Bonsoir madame, j’ai entendu votre fils vous demander tout à l’heure pour sauter du pont et vous vous êtes un peu disputés. Ca a l’air d’être difficile pour lui de devoir renoncer au saut ce soir…Est-ce que vous seriez d’accord pour que je vous propose une idée à tester la prochaine fois pour que ce soit plus doux pour vous et pour lui ? »
*Un peu surprise* « Heu oui, c’est vrai c’est pas facile, c’est frustrant pour lui mais en même temps là ce soir ce n’est pas possible, je n’ai pas d’autre solutions que de dire non… »
« C’est difficile pour vous de ne pas pouvoir l’aider à dépasser sa frustration ? »
« Oui, ce n’est jamais agréable de le voir en colère, pour lui c’est injuste… »
« Est-ce que vous êtes d’accord avec moi si je vous dis que sa frustration vient peut-être du fait qu’il se sente dans l’interdiction de partager un moment intense avec ses cousins ? »
« Oui je pense, je crois qu’il avait aussi envie de leur montrer qu’il avait grandi et qu’il pouvait faire la même chose qu’eux ! L’été dernier il savait à peine nager »
« Et vous croyez que ce serait possible pour vous de donner une mission ce soir à votre fils pendant que les plus grands sautent ? »
« Une mission c’est à dire ? »
« Par exemple, le faire « reporter officiel » du saut: lui proposer d’être en charge de filmer, ou de photographier, ou de dire lequel des sauts était le plus impressionnant, ou donner des consignes de saut que les plus grands devront appliquer…Quelque chose qui le fasse se sentir inclus et important même si lui ne saute pas ».
« Ah mais c’est une bonne idée ça, en plus j’ai de la batterie sur mon téléphone »
« Super ! J’espère que ça lui plaira ! Bon, et bien je rentre, bonne soirée »
« Bonne soirée merci beaucoup ! »
OH BONHEUR. OH GRATITUDE.
J’avais envie de pleurer de joie sur les quelques minutes de marche du retour ! C’est ma petite pépite bienveillante du mois d’Août. Il y en a eu d’autres, mais celle-ci m’a particulièrement touchée ! Ce moment où en choisissant de rester connectée aux besoins de cette maman, et à ceux de son enfant, on a pu trouver quelque chose qui renforce les liens, tout en respectant les limites imposées par le contexte et en accueillant les émotions comme elles ont besoin d’être accueillies. L’occasion de me souvenir que la CNV, c’est bien plus qu’un processus de communication. C’est une intention de bienveillance, la volonté d’être dans le non-jugement. C’est ce qui nous rapproche les uns des autres, qui préserve le lien, même quand les choses sont compliquées.
Et vous, quelles sont les pépites bienveillantes de votre été 2018 ?
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Olala mais un grand merci !! Ton article m’a mis les larmes aux yeux … sûrement parce que je me sens souvent dépassées en ce moment et que j’ai l’impression de ne plus être la maman bienveillante et à l’écoute que j’aimerai ! Et puis chapeau bas d’avoir pu discuter avec cette maman. Combien de fois j’y pense quand je voi des situations complexes , mais que je n’ose pas… merci à toi de tout ces partages !! Bisous
Un grand bravo pour être allée parler à la maman. Moi je n’aurais pas osé de peur de me faire envoyer balader 😀 Mais tu as été bien accueillie et ça c’est super positif! Pour la maman et l’enfant!
merci de ce partage, j’en avais moi aussi les larmes aux yeux. Quel fierté d’avoir osée y aller, quel chemin parcouru pour réussir à saisir ce qui se jouait pour chacun. C’est vraiment l’étape avec laquelle j’ai le plus de mal, la première, l’empathie, je reste souvent en surface et ne vois pas ce qui se joue en profondeur, du moins chez les autres (je crois que mon intelligence à moi et intrapersonnelle et que j’ai toujours manqué de l’interpersonnelle celle qui semble si voir trop développée chez toi, si j’ai bien tout compris) tes billets CNV sont donc très inspirants moi je vote pour qu’il y en ai plus sur ton blog !
BRAVO Julie ! Quelle chouette histoire et TOI AUSSI tu as sauté !!!! Pas dans l’eau froide mais dans la rencontre… A bientôt