Qui n’a jamais prononcé cette phrase ?
Qui ne s’est jamais laissé aller à s’interdire une réaction, une émotion, un ressenti, en invoquant la chance qu’il.elle avait ? Souvent on se dit, « avec la chance que j’ai, comment pourrais-je me plaindre ? De quoi pourrais-je me plaindre ? J’ai un toit, de quoi manger, des ami.e.s, ce n’est pas toujours simple mais j’ai tout pour être heureu.se.x. Je n’ai pas le droit de me plaindre ». Et pourtant…Malgré cette chance, malgré cet environnement favorable, malgré des besoins globalement satisfaits tels que la subsistance, l’abri, la sécurité ou la situation matérielle, on se confronte souvent à nos états de tristesse, de frustration, de colère, et pourquoi pas de dégoût.
Alors, pourquoi ?
Avec la chance qu’on a…
Et si le problème résidait dans le fait qu’on limite la notion de « tout pour être heureux » à une toute petite série de besoins fondamentaux, comme s’ils étaient les seuls à devoir être comblés pour apporter la stabilité émotionnelle et le bonheur ?
Quand on découvre la CNV, on découvre aussi et surtout la question des besoins. Ces besoins fondamentaux que tous les humains partagent et qui vont bien au delà que les quelques besoins que l’on définit comme prérequis au bien-être. Certes, la sécurité matérielle, l’abri, la substistance en font partie. Mais ils ne sont qu’une petite goutte dans l’océan de nos besoins profonds. Nous avons aussi des besoins d’affection, de liens, de soins, de tendresse, de clarté, de compréhension, de stimulation, de choix, d’espace, de liberté, d’individualité, de rêve, de solitude, d’authenticité, de cohérence, de respect, de sens, d’acceptation, d’amour, de compassion, de connexion, de contribution, d’intimité, de réciprocité, de considération, de réalisation, de maîtrise, de reconnaissance, de plaisir, de vivacité….Cette liste est tellement loin d’être exhaustive !
Et toute la chance qu’on a ne signifie pas forcement que tous ces besoins se trouvent suffisamment comblés pour nous rendre heureux en permanence. Toute la chance qu’on a n’empêche pas nos émotions désagréables, et toute la chance qu’on a ne doit pas nous interdire de les vivre, ces émotions là, de les reconnaître, de les accueillir, et de leur dire qu’elles ont le droit d’exister. Même si tout nous fait penser qu’on n’a pas à se plaindre.
Les émotions, c’est comme un tableau de bord.
Imaginez que vous êtes dans votre voiture. Tout va bien, vous roulez bon train, les voyants sont éteints. Et puis soudain, un voyant orange s’allume. Il serait sans doute judicieux d’aller regarder sous le capot pour vérifier d’où vient le signal mais vous vous dites que ça peut attendre. Les jours passent, le voyant reste allumé mais vous n’êtes toujours pas passé.e au garage. Un matin, comme tous les matins, vous démarrez mais quelques kilomètres plus loin, l’orange passe au rouge. Et c’est la panne. Remorquage, travaux, facture exorbitante…la note aurait sans doute été moins salée en prenant le signal en compte dès son apparition.
Il en va de même avec nos émotions. Elles sont le voyant orange de notre tableau de bord. « Alerte : besoin insatisfait, regarde sous le capot ! ». Malheureusement, pour une grande majorité d’entre nous, nous n’avons pas appris comment regarder, ni où chercher, et on finit par faire ce qu’on nous a toujours demandé de faire : passer à autre chose. Penser à autre chose. Se dire que c’est à cause de quelqu’un ou de quelque chose. Espérer que ça passe et si ça ne se produit pas, faire comme si c’était passé. Jusqu’au moment où le voyant passera au rouge…pour nous faire tomber en panne. La panne en émotions, c’est un peu le syndrôme de la cocotte minute. On étouffe, on étouffe, et on se reprend tout en pleine figure quand le couvercle finit par sauter. En éclaboussant bien souvent les autres au passage.
Nos émotions se fichent de la chance qu’on a.
Tout simplement parce qu’elles n’y sont aucunement liées. Elles ne questionnent pas notre environnement, mais nos valeurs, et donc nos besoins profonds. S’il s’avère que notre environnement est en adéquation avec nos besoins profonds, alors oui on peut ressentir des émotions agréables, mais ce n’est pas cet environnement qui en est la source. La source réside dans nos besoins qui se trouvent être comblés précisément dans l’environnement où on se trouve. Une dissonance là dedans et voilà les émotions désagréables qui pointent le bout de leur nez.
Nos émotions nous donnent une information.
Elles viennent nous signifier que quelque chose, là maintenant, vient contrarier un besoin profond, une valeur que l’on porte pour soi-même ou pour les autres. Nos émotions sont alors le baromètre de notre intégrité, le voyant orange du tableau de bord qui nous dit « trouve une solution pour rétablir l’équilibre ». La CNV a cela de magique qu’elle permet de prendre conscience de nos besoins profonds, dont personne ne nous avait jamais parlé, et là tout s’éclaire sur le chemin. La source d’une tristesse peut être comprise, la raison d’une frustration peut être décodée, le mécanisme d’une colère peut être déjoué. On s’accorde alors la compassion nécessaire à la résolution de l’émotion, en acceptant aussi d’en prendre la responsabilité : ce que je ressens n’est pas la faute de l’autre mais le résultat de mon besoin insatisfait par la situation (voir ce billet pour mieux comprendre la notion de responsabilité dans l’émotion).
Et au delà, la CNV permet de comprendre ce qu’il devient nécessaire de faire pour éteindre le voyant, au lieu d’attendre sagement la panne. Identifier le besoin insatisfait qui génère notre émotion face à une situation permet d’envisager une demande ou une action claire, pour soi-même ou adressée à l’autre, qui permet de rétablir l’équilibre.
Alors avec la chance que vous avez, plaignez vous s’il vous plaît !
Ou plutôt, exprimez-vous ! Découvrez-vous. Vos émotions se fichent de votre environnement, elles vous parlent de vous, de vos aspirations, elles vous invitent à regarder sous votre capot pour mieux vous connaître. Elles sont vos alliées, comme autant de petites voix bienveillantes qui vous alertent quand quelque chose dissone. Apprenez à les écouter, à comprendre leur message : elles feront émerger vos valeurs, vos besoins profonds et vous pourriez être surpris.e de constater qu’elles peuvent, aussi, vous amener à repenser complètement votre environnement pour qu’il vienne résonner avec elles. Au lieu de les contraindre à s’adapter à lui, et de leur interdire d’exister sous prétexte que cet environnement devrait suffire à votre bonheur.
Aimez vos émotions, la vie vous le rendra 🙂
Une pensée particulière à Damien, dont la récente expérience a fortement inspiré ce billet 🙂
Ton billet me parle tellement ! Je me sens si souvent honteuse encore, quand bien même j’ai parcouru du chemin, de ne pas être satisfaite de où je suis, de ce que je fais, de ce qui m’entoure. J’essaie de plus en plus de m’écouter, même si l’exercice est ardu me concernant, et de changer les choses petit à petit pour aller vers ce qui me correspond. Je suis encore bien trop souvent en mode cocotte-minute (ou carte de fidélité tamponnée jusqu’à explosion comme dit Caro 😉 ) et je m’en veux chaque fois d’exploser, alors même que je connais mes frustrations…
Il faut vraiment que je me replonge dans la CNV, que j’ai découvert de façon superficielle il y a quelques années. Chacun de tes billets sur le sujet me donne un peu plus envie de prendre ce temps.
Coucou Aude, merci pour ton témoignage. Pour ce qui me concerne, la CNV a été la chose la plus aidante alors que je pensais en faire d’abord un outil à utiliser avec les autres…j’ai compris bien vite que c’était de moi qu’elle me parlait, j’espère que tu y trouveras des réponses ! Et je suis heureuse que mes billets t’aident sur ce chemin 🙂
Bonjour Julie,
moi aussi, ton billet me parle, il résonne et me fait réfléchir. Je ressens chaque année un jour ou deux de trop plein ou les émotions sont à fleur de peau et où les larmes peuvent couler si facilement suite à une remarque désagréable ou à une remarque gentille. Ca arrive toujours à la maison donc je pense que j’emmagasine ce trop plein d’émotions depuis un certain temps, j’ai bien sûr occulté d’y prêter attention quand elles arrivent et puis cocotte-minute!!!
J’ai donc un gros boulot à faire sur moi même mais aussi de la lecture…
Merci de m’amener toujours plus loin sur ce si joli chemin…
Bonjour Séverine, je crois que la cocotte minute est bien installée dans la vie de beaucoup de personnes, elle l’a été aussi dans la mienne et il est toujours bon de réussir à la désamorcer. Je suis contente que tu trouves ici des ressources pour avancer !